lundi 5 avril 2021

Un petit conte pour un lundi de Pâques venteux...


Imaginez une immense forêt là-bas, dans les régions du Nord.

Imaginez des arbres millénaires bercés par les aventures du vent.

Imaginez une histoire qui débute dans un terrier.

- Avez-vous vu cet œuf ? Il a une forme bizarre, demande la lapine à son mari.
- Et qui a osé faire rouler cette chose chez nous ?
- Il est assez volumineux, d’où peut-il venir ?
- Ce n’est pas un coucou. Ce n’est pas un hibou. Je pense que nous devons nous renseigner auprès des hôtes de ces bois.

    Voilà notre couple de mammifères qui parcourt la forêt en tenant précieusement l’œuf découvert. À chaque fois qu’ils demandent à une oiselle :
- Auriez-vous perdu votre œuf ? 
- Oh ! Quelle horreur ! Non, je fais trop attention à ma couvée.
    Au bout de la journée, déçus et fourbus, nos deux lapins rentrent chez eux. Après un souper léger, ils se pelotonnent près de l’œuf pour le protéger, on ne sait de quoi.

    Cette nuit-là, un rayon lunaire s’infiltre dans la demeure sous terre et éclaire l’œuf précieux de nos deux amoureux. Sous quel effet ? Pourquoi ? Toujours est-il que lentement sur la coquille se dessinent des zébrures de plus en plus longues et larges. 
    Les deux lapins se réveillent en sursaut quand ils entendent les brisures de l’œuf. Quand ils voient apparaître un bec noir, une tête noire aux yeux noirs, ils se terrent au fond du terrier.
L’œuf continue de se craqueler et la chose se dévoile dans son entièreté.
- Comme il est étrange, dit le lapin.
- Tu as vu son corps ? lui répond la lapine.
- Et ses pattes… ou ce sont des ailes ridicules ?
- Il ne ressemble à rien de ce que nous connaissons ! 
- Crois-tu qu’il mange comme nous ?
    Notre couple observe cet être sans plus rien dire. L’intrus se secoue, pousse de petits cris : un chant ? Il essaie de marcher, ce qu’il réussit de façon assez burlesque. 
    L’instinct maternel de la lapine, fait qu’elle s’approche de lui. Tout de suite, celui-ci se frotte, essaie de se glisser sous le pelage entre les pattes arrière du mammifère.
    Mais la chose est aussi volumineuse qu’elle. Notre lapine glapit et tombe à la renverse. Il chante une mélopée, le petit intrus, sa voix nasillarde se propage dans tout le terrier.
    Le lapin, qui jusqu’à présent, n’avait rien dit, s’approche de lui et, de ses pattes, l’entoure pour le réconforter. Il recule doucement en tenant le nouveau-né jusqu’au mur du fond et là, s’appuie pour garder son équilibre.
    L’enfant de l’œuf ferme les yeux, s’endort doucement, sa respiration se fait plus lente. Le lapin n’ose bouger. La lapine se blottit dans un coin du terrier.

    Quand le soleil réveille la forêt, les chants des oiseaux titillent les oreilles des lapins, mais également de la petite chose.
    Le lapin qui s’était endormi en serrant ce petit être, s’est rendu compte que ce n’étaient pas des poils ordinaires qui recouvraient le corps, mais des plumes douces et soyeuses. 
- Serait-ce une espèce d’oiseau ? Il possède deux membres supérieurs en forme d’ailes courtes, mais elles en ont la forme. Le corps est assez potelé, et ses pattes sont palmées comme celles de mon ami le Canard Colvert, se dit-il en lui-même. Je vais aller me renseigner auprès de lui.

    La petite chose commence à remuer, à battre des ailes, à marcher dans le terrier, il crie, il a faim. Mais que mange-t-il ?
    La lapine, elle, était déjà sortie pour aller chercher le petit déjeuner, et revenait les pattes encombrées de baies rouges et mauves, de feuilles de trèfles et de fleurs, de quelques champignons.
    Elle dépose cet appétissant buffet au milieu de l’espace et tous les trois s’attablent, enfin s’asseyent à même le sol, pour déguster ce repas.
    De leurs pattes, les lapins choisissent les mets qu’ils préfèrent. L’hôte, lui, picore dans le tas et fait valser baies, trèfles, fleurs et champignons un peu partout dans le trou de terre sous les yeux ébahis de notre couple.
- Cela n’a pas trop l’air de lui plaire, dit la lapine déçue.
- Je vois. Nous allons, tous les trois, nous rendre à l’étang du Bois Perdu, notre ami le Canard pourra peut-être nous renseigner sur cet animal étrange.

    Après ce repas bousculé, ils remontent à la surface. Le soleil est déjà haut dans le ciel qu’ils parcourent les sentiers touffus de la forêt. L’étranger a du mal de suivre ses parents adoptifs : il sautille, bat de ses petites ailes.
    La promenade dure longtemps et les lapins sont assez impatients, mais ils comprennent que ce bébé tout nouveau ne peut se mouvoir aussi vite qu’eux.
    Tout en marchant, les autres habitants du lieu, s’agglutinent peu à peu derrière eux : ils n’ont jamais rien vu de pareil. Les discussions vont bon train. Chemin faisant, ils arrivent à l’étang. La nouvelle de cette « petite chose » a déjà été annoncée par les mésanges noires. 
    Le comité d’accueil : les canards, les foulques, les poules d’eau, ainsi que quelques cormorans, oies du Canada et oies d’Égypte sont là. Toute cette cour d’oiseaux discute et caquette. La conversation est interrompue par l’arrivée du cortège.
    Une oie du Canada saute sur le rivage et s’approche de l’étranger. Elle tourne autour de lui, silencieuse. Un silence étonnant s’étend sur tout le petit peuple. Ils attendent le verdict de la doyenne des oies :
- Mes amis, dit-elle émue, vous avez devant vous un pingouin.
Une onde de murmures se fait entendre.
- C’est quoi un pingouin, demande un caneton encore sur l’eau.
- Le pingouin, enchaîne l’oie, est un oiseau.
- Un oiseau ? dit, en chœur, le peuple présent.
- Un oiseau palmipède des mers arctiques. Il vole comme nous les oies, plonge dans les eaux glacées à la recherche de sa nourriture : les poissons.
- Voilà pourquoi il n’a pas aimé mon petit déjeuner, dit la lapine.
- Il doit être affamé, ajoute en cormoran qui plonge aussitôt au fond de l’étang.  
    Le cormoran revient avec un poisson frétillant qu’il dépose aux pieds du pingouin. Celui-ci, tout heureux, engloutit le mets délicieux.
- Nous devons nous organiser pour nourrir cet oiseau, ajoute encore la doyenne des oies.

    Les quelques cormorans présents se concertent, puis chacun à leur tour, plonge et remonte. Le pingouin, heureux, dévore tous ces dons.
    Une cane propose qu’on lui construise un nid près du sien : il sera ainsi parmi ses congénères et non loin du garde-manger. Tous les palmipèdes offrent leur aide pour le bâtir.
    Le cortège se disloque et les conversations vont toujours bon train. 
    Durant toute cette journée ensoleillée, les habitants du grand étang se relaient pour nourrir le pingouin et lui préparer un nid moelleux à l’abri des prédateurs.
    Notre couple de lapins, soulagé, reste auprès de lui pour lui tenir compagnie.
    
    Quand le soleil descend sur la forêt, les lapins quittent à regret  leur « enfant » pour se reposer dans leur terrier.